La prospérité : une balle d’argent pour se relever du coronavirus
Entretien avec le Dr Laffer
Nous avons interviewé le Dr Arthur Laffer, un économiste américain, sur les problèmes liés aux mesures gouvernementales prises par les États-Unis contre la pandémie de coronavirus, et discuté des politiques à privilégier pour faire face à la récession qu’elle entraine.
(Interviewer: Hanako Cho)
Compenser les conséquences pour la santé par des résultats économiques
Dr Arthur B. Laffer, Conseiller économique du président Trump :
Né en 1940. Après son diplôme de l’Université de Yale, le Dr Arthur B. Laffer décroche tour à tour son MBA et le doctorat de l’Université de Stanford. Le Dr Laffer est aussi le fondateur et président de Laffer Associates, une société de recherche en économie et en conseil. On le connait également comme le père de l’économie de l’offre, au cœur des Reaganomics. Le Dr Laffer a été le conseiller économique du président Trump pendant la campagne présidentielle de 2016. Il est l’auteur de nombreux livres, dont « La fin de la prospérité, ou comment des impôts plus élevés menaceraient l’économie – si nous en arrivons là » (2008) et « Les Trumponomics : projection dans le premier plan de relance de notre économie américaine » (2018).
Cho: Je voudrais vous interroger sur l’importance de l’ouverture de l’économie. Vous avez souligné il y a plusieurs semaines sur Fox TV toute l’importance d’un équilibre à trouver (dans les circonstances actuelles) entre les conséquences pour la santé et les résultats économiques. Qu’arriverait-il à notre économie si les mesures de confinement venaient à se perpétuer ?
Dr. Laffer: Permettez-moi de revenir sur ce point avec toute l’attention qu’il mérite.
Tout d’abord, je ne suis pas médecin. Je ne suis ni virologue ni biologiste, et surtout pas un spécialiste du système immunitaire. Bien que cela ne fasse pas de moi un expert, je lis sans arrêt des revues techniques et des articles à ce sujet, jusqu’à ce que je sois suffisamment à l’aise pour pouvoir comprendre de quoi parlent ces spécialistes.
Les actions du gouvernement ont leurs avantages et leurs inconvénients. En ce qui concerne les avantages des actions menées par le gouvernement, j’espère que, sur le plan de la santé, ils réduiront en effet l’incidence du coronavirus. Qu’ils réduiront les dommages causés à notre santé et réduiront surtout le nombre de décès qui lui est imputable. C’est ce que l’on peut attendre des actions du gouvernement en matière de santé.
Ces actions gouvernementales sont produites à la Maison Blanche et au Congrès pour l’ensemble du pays, mais elles proviennent aussi des États, sous l’action locale des gouverneurs et des législateurs. On peut observer de très grands écarts dans l’application locale de l’intervention du gouvernement en matière de contrôle sanitaire, par exemple dans les mesures de distanciation physique, de fermeture des entreprises, etc.
Maintenant que nous disposons de beaucoup plus de connaissances sur ce coronavirus. Nous savons qu’il s’agit d’un type spécial de virus dont la composition et l’historique sont inédits. Nous savons qu’il affecte tout particulièrement les personnes âgées. Aux États-Unis, les décès surviennent principalement chez les hommes âgés et en présence de plusieurs maladies simultanées (comorbidité). Cet écart de probabilité est énorme.
Sur un plan régional, il se vérifie également que le coronavirus cible certaines régions plus que d’autres. Toutes proportions gardées, New York compte deux fois plus de décès que l’état qui le suit dans ce décompte. Certains États des États-Unis ne connaissent presque pas de cas. Et à l’intérieur des États, certaines villes comptent beaucoup plus de morts que d’autres. C’est le cas de New York, si on le rapporte à ses zones rurales.
Le virus a des effets très différents, et lorsque vous vous intéressez aux politiques qu’il faudrait mener pour compenser les conséquences pour la santé par des résultats économiques, vous devez descendre au niveau des caractéristiques individuelles qui nous distinguent. Il vous faut prendre en considération l’âge, le sexe, les maladies dont est déjà porteuse une personne donnée, sa résidence, son entreprise, le nombre de ses contacts réguliers. Un bar de Nashville, fréquenté par des clients ivres ou toussoteux, n’a rien à voir avec le cas de l’agriculteur qui s’acharne à cultiver ses champs. Nous devons nous intéresser au profil-type des uns et des autres.
Si vous vous intéressez aux dommages causés à l’économie par le virus, à l’opposé de ce qui précède, le principal dommage causé à l’économie, c’est la perte des entreprises due à leur fermeture. Vous contraignez tout d’abord vos employés à se mettre en quarantaine et à s’isoler, ce qui réduit les risques. Mais l’effet à long terme qui en résulte est la dette qui lui est associée. Cette dette augmente très rapidement aux États-Unis aussi.
Vous voulez équilibrer les conséquences sanitaires par les résultats économiques des actions entreprises. Avec cette consigne à l’esprit, dans mon esprit au moins, vous voulez être sûr de vous intéresser aux bons profils. Ce n’est pourtant pas du tout ce que nous avons fait dans ce pays.
Certaines entreprises ont été répertoriées comme essentielles, mais d’autres ne l’ont pas été et ont dû fermer leurs portes. Leurs dirigeants sont voués à la faillite et à perdre leur entreprise. C’est là que débute l’équilibre entre les conséquences sanitaires et les résultats économiques. Partout dans le monde, la prospérité est le meilleur remède contre les maladies.
« Il n’y a pas que la maladie qui tue »
Dr. Laffer: Les pays riches affichent une espérance de vie bien plus élevée que les pays pauvres. Les régions riches et prospères des États-Unis ont une espérance de vie plus élevée que les régions plus pauvres des États-Unis. Pourtant ce n’est pas que l’espérance de vie qui compte, mais aussi la qualité de vie. Les suicides, les voies de fait et les mauvais traitements sont tous liés entre eux. Une mauvaise économie nuit aussi gravement à la santé.
Il n’y a pas que la maladie qui tue. La pauvreté aussi. Vous souhaitez équilibrer cet ensemble, mais les États-Unis, et en particulier New York, n’y sont pas vraiment parvenus. Vous devriez dans ce cas prendre en considération la science et l’économie, pour en faire l’analyse. Le gouvernement fédéral a pour sa part consenti à provoquer un stimulus. Il a lancé un plan de relance de 2,3 milliards de dollars, l’augmentant de 600 milliards de dollars supplémentaires, pour un total de 3 milliards de dollars, venus s’ajouter à un déficit initial de 1 milliard de dollars. Le ralentissement de l’économie nous coûtera bien un demi-milliard supplémentaire. Le tout représente environ 4,5 milliards de dollars, à rapprocher d’un PIB d’environ 21 milliards de dollars. On parle là d’une augmentation de plus de 20% de l’endettement des États-Unis.
C’est une énorme augmentation de l’endettement rapporté au PIB, ce qui entraine de fortes conséquences sur la croissance économique. Les États-Unis se placent ainsi dans la même catégorie que l’Italie et le Japon, qui affichent une croissance très lente en ce moment.
(Fin de la partie 1.)