Au vu des témoignages de la population locale, on peut clairement voir la propagande (mensonges) de l’Occident.

 

Quel est le point de vue de cette réalisatrice française, qui a montré la répression des droits de l’homme dans l’est de l’Ukraine et témoigné de la véracité de cette vision devant les Nations Unies, sur la guerre ?

 

La réalisatrice du documentaire

Anne-Laure Bonnel

Anne-Laure Bonnel
Elle a travaillé sur des films comme Donbass(2016) et Silence dans le Haut-Karabagh(2020). Elle a vécu dans la région du Donbass depuis 2015 et est retournée en France en 2022.
 
Donbass
“Donbass” (2016)

Le film Donbassde 2016 montre la réalité des attaques aveugles menées par l’armée ukrainienne contre sa propre population dans la région du Donbass, au sud-est de l’Ukraine, avec des témoignages des habitants. Ce film est en train d’être redécouvert à l’occasion de la guerre actuelle.

Q : Le Président Poutine a mis en avant la protection de la population russe comme raison des opérations militaires spéciales. Cependant, les médias soulignent qu’aucun génocide n’a eu lieu dans le Donbass et qu’il s’agit d’une invasion unilatérale de la Russie, ce que la majorité du public semble croire. Que s’est-il passé exactement dans le Donbass ? Et pensez-vous que les actions de la Russie étaient justifiées ?
Pouvez-vous répondre en vous basant sur les informations précieuses que vous avez recueillies sur le terrain ?

Je vais répondre en tant que réalisatrice de film. J’ai été dans le Donbass dès 2015 et j’y suis retournée en 2022.

Quand j’ai commencé cette enquête sur le Donbass, j’ai découvert avec sidération à quel point le massacre d’Odessa en mai 2014 avait disparu de la mémoire du grand public français. En fait, c’était même un évènement inconnu… Une info à bas bruit, de celles qui ne laissent pas de traces dans les cerveaux : 48 personnes tuées dans un incendie au cœur d’une grande ville européenne en plein milieu du XXIème siècle.

Les victimes étaient des Ukrainiens d’origine russe morts dans l’incendie d’un bâtiment provoqué par les cocktails Molotov de milices nationalistes ukrainiennes.

Après une rapide recherche, je découvrais que le massacre n’avait pas été censuré. Il avait été abordé, évoqué, mais jamais vraiment enquêté. Comme s’il gênait, malgré les heures d’images insoutenables sur YouTube. C’est cette curieuse absence qui m’incita à lancer ce documentaire. Odessa m’a rappelé les massacres d’Oradour sur glane : fournaise de l’abomination.

Une guerre fratricide ? N’est-ce pas là le pire oxymore qu’on puisse imaginer ?

Une guerre civile où les civils ont été bombardés à Slaviansk en avril 2014. Où les civils sont devenus des animaux pour ceux d’en face. Pour Kiev, comme pour les Occidentaux, il n’est plus question de faire jouer « la responsabilité de protéger » les civils, alors qu’ils considèrent cette responsabilité comme un principe coutumier du droit international (il a joué à Benghazi contre l’État libyen et en Côte d’Ivoire, pour éliminer le régime Gbagbo).

Une guerre que les médias regardent encore de façon simpliste : Les rebelles séparatistes d’un côté, les forces armées de Kiev de l’autre.

Les événements de l’hiver 2014 à Kiev ont été présentés comme une contestation populaire et légitime, fondée sur les aspirations démocratiques et européennes de la population et son ras-le-bol à l’égard d’un régime corrompu et outrancièrement pro-russe. Moscou a été présenté comme un agresseur bafouant sans scrupule le droit international. Une telle vision de la situation est partielle et partiale et mérite d’être corrigée par une lecture plus objective de la situation.

La situation de l’Ukraine est plus complexe que les médias ne la présentent. Le pays est hétérogène, historiquement, linguistiquement et religieusement.
Le pays est profondément divisé entre une partie occidentale au fort tropisme européen et au nationalisme prononcé, tandis qu’à l’est, la majorité de la population, russophile et russophone, ne se sent guère ukrainienne.

Cette bipolarisation s’exprime à l’occasion de chaque élection, comme par exemple lors du scrutin présidentiel de 2004 : le candidat pro-occidental Viktor Ioutchenko obtint plus de 80% des suffrages dans les régions de l’ouest du pays, tandis que son adversaire Viktor Ianoukovitch recueillit plus de 80% des voix à l’Est.

En ce qui concerne l’invasion du 24 février 2022, la seule réponse que je peux apporter est que les tirs à Donetsk et Lougansk avait repris, que les tensions avaient repris.

Aujourd’hui personne n’est en mesure de savoir ce qui a déclenché l’offensive russe. Et personne n’est en mesure de comprendre ce qui se passe.

Oui, la Russie a agressé l’Ukraine, et oui, le monde occidental aurait pu éviter cette guerre.
Soutenue et encouragée par les USA et la Grande Bretagne, l’Ukraine est aujourd’hui un Etat où se joue une guerre mondialisé.

Les crimes et dégâts matériels commis devront être jugés et reconstruits, c’est une évidence.

Il est à présent temps de prendre du recul, de se poser et de faire des constats.
Plus de 4 mois durant lesquels les acteurs principaux ont créé une escalade sans jamais réellement tenter de calmer le jeu. Les USA qui, à distance, n’hésite pas à mettre de l’huile sur le feu. L’Europe qui, embrigadée dans une coalition la protégeant et se sentant pousser des ailes, rêve de devenir à son tour sauveuse des libertés.

La Russie qui, avec un sentiment historique d’humiliation, fonce tête baissée n’hésitant plus à brandir l’arme ultime si quelqu’un devait se mettre sur son passage.

L’escalade est rapide et dangereuse. La marche arrière est plus délicate et fastidieuse.
Et pourtant, seule la négociation permettra de faire redescendre la pression.

Aujourd’hui, c’est le pays concerné qui est le carrefour de notre Histoire. Celui dont la force et le courage de ses combattants résident dans l’espoir qu’on lui promet: celui d’une victoire, celui de retrouver son indépendance, celui de pouvoir basculer vers un nouveau continent et d’intégrer une organisation dont le but est de protéger ses habitants.

Mais, l’espoir n’est pas un gage. L’Histoire nous a montré que nombre de peuples ont espéré. Nombre d’entre eux ont cru à des promesses qui jamais ne se sont réalisées.

Aujourd’hui, avec un goût amer, ces témoins de l’Histoire ne peuvent que regarder et constater un énième conflit se répéter.

Le 24 février 2022 le monde a changé, le monde s’est réveillé, le monde s’est ébahi, le monde s’est tourné vers un pays oublié jusqu’ici.

Q : Les médias occidentaux ont véhiculé l’idée que la Russie avait unilatéralement envahi l’Ukraine et que le Président Zelensky est un héros, là où nous le soupçonnons d’être en fait un dangereux populiste qui souhaite une guerre mondiale. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions sur le caractère et les décisions politiques du Président Zelensky ?

Je ne peux pas répondre précisément, je ne comprends pas ce qui se passe. Cela me dépasse.
Mais je peux vous transmettre les questionnements qui sont les miens. La France n’en sort pas gagnante.

Aujourd’hui, à qui profite ce conflit ?

Les seuls qui y tirent leur épingle du jeu sont les USA :

  • Vente de leur gaz de schiste à l’Europe (qui il y a quelques mois encore le refusait). Ce sont les USA qui ont sommé l’Europe de ne plus importer de gaz russe, pendant qu’eux continue d’importer du pétrole russe pour l’agriculture américaine. On marche sur la tête…
  • Premier pays producteur d’armes au monde : ou comment faire tourner l’économie interne. Injecter des milliards dans un conflit pour les USA revient à injecter des milliards dans son économie, à créer de l’emploi, à investir dans la recherche, à gagner des marchés.
  • L’image envers sa population patriote et fière : vouloir se donner une nouvelle fois le rôle du sauveur après avoir créé les conditions pour pouvoir intervenir ?
  • Ces 3 points réunis vont donc dans le sens de l’administration en place qui doit à tout prix redorer son blason suite à l’échec du retrait des troupes en Afghanistan, et en vue des élections de mi-mandat qui se profilent (novembre 2022) et dont la notoriété du Président Biden est actuellement au plus bas et qui pourrait se voir bloquer toute marche de manœuvre jusqu’en 2024.Un sujet qui permet par la même occasion d’occulter l’échec de la crise du Covid, qui fait des USA le pays comptant le plus de morts au monde (1 million pour 330 millions d’habitants).

Q : Comment les Français ont-ils perçu jusqu’ici ce que vous avez voulu leur communiquer ?

Les médias français n’ont jamais compris ma démarche. Ni en 2015 ni en 2022.
Mes films sont au plus près des civils. Aucun discours politique.

Donbass est né d’un étonnement dès 2015 devant ce qui est apparu comme une prise de position politique de la part des médias français quant à la situation en Ukraine.

Quelques exemples suffisent. Alors que de nombreux articles dénonçaient l’intervention russe en Crimée et dans l’Est de l’Ukraine, l’aide militaire de Washington à la Garde Nationale ukrainienne n’est pas discutée par les pouvoirs publics et que très peu interrogée par les médias. On ne peut que constater que lorsque ces deux puissances soutiennent un camp ou l’autre au sein d’un même pays, la médiatisation semble loin d’être équilibrée. Pourquoi encore lorsque près de 50 personnes ont péri dans un incendie à Odessa, a-t-on semblé avoir tant de mal à penser que les victimes étaient bien des « pro-russes » et les coupables en majorité des « pro-Maidan » ? Et pourquoi un an après ce drame, n’y a-t-il toujours pas eu d’enquête ? Pourquoi enfin a-t-on si peu entendu parler des exactions commises sur des civils par le bataillon Azov et l’armée
ukrainienne à Marioupol ?

Donbass est là pour rééquilibrer le débat. Pour donner la parole à ceux qui sont au cœur du conflit et que pourtant l’on ne voit et entend peu. Pour que puisse exister une autre manière de concevoir ce conflit, à l’abri des discours propagandistes et des positionnements non assumés. Le film n’est pas là pour déterminer qui du gouvernement ukrainien ou du gouvernement russe est le plus coupable. Donbass ne cherche pas à démontrer une théorie ou à défendre un camp plutôt que l’autre. Son objectif est de donner à voir le quotidien des populations civiles de l’Est plongées dans le tourment de la guerre. De comprendre quels peuvent être les ressentis de ces habitants. De raconter les à-côtés de ces combats.

Donbass n’est pas un reportage d’investigation. Donbass ne se prétend pas objectif, neutre ou encore exhaustif. Donbass est un film documentaire, et c’est pourquoi Donbass se veut subjectif. Subjectif non pas au sens d’une partialité politique mais au sens du point de vue d’un auteur, du regard singulier d’un artiste, qui fait le choix de creuser plus en profondeur telle question plutôt que telle autre, et d’expérimenter telle forme cinématographique plutôt que telle autre. Donbass est avant tout une balade poétique dans une région en ruine, où les images et les mots font figure, non pas de preuves, mais de témoins.

Q : Quelle est la réaction de la population locale devant l’avancée des troupes russes dans le Donbass et comment sont-elles vues ?

La population de Donetsk et Lougansk se sent russe, à mes yeux, cela n’engage que moi. Je n’ai rencontré que des personnes voulant rejoindre la Russie. Toutes les villes et personnes visitées aspirent à la Paix. Il faut garder à l’esprit que ce conflit prend corps en 2014.
L’aspiration à la paix et le sentiment d’appartenance à la Fédération de Russie sont palpables à Donetsk et Lougansk depuis 2014.

N’oublions jamais que toute guerre a sa part d’ombre. Et oser s’avancer tête baissée vers un raccourci facile serait un manque d’humilité. C’est prendre le risque d’un retour de flamme dont l’Histoire se rappellera.
Pouvons-nous être catégorique sur les responsabilités au point de soutenir un armement qui fera davantage de victimes des deux côtés ?
Que diront les générations futures si l’une des décisions aux répercussions fatales s’avérait erronée ?
Il est temps pour les civils d’éteindre le feu des canons plutôt que de les augmenter.
Il est temps de ne pas envenimer la situation à travers des provocations directes ou indirectes. Il est temps d’éviter tout propos belliqueux.
Oui, la Russie a une responsabilité.
Mais ?
A qui profite le crime? Aux pays fournisseurs d’armes ?
A qui profite l’intérêt? Aux pays qui nous proposent gracieusement une alternative au gaz russe ?
A qui profite la bonne conscience? Aux donneurs de leçons confortablement installés dans leur canapé, face aux journaux télévisés ?

A qui profite la Paix? Aux citoyens et aux peuples pris entre deux feux depuis 2014. Ceux qui n’ont d’autres choix que de subir les décisions de quelques dirigeants initialement élus pour les représenter, pour les protéger mais qui au final s’avèrent bien souvent rattrapés par leur soif de gloire et de victoire.

 
Au vu des témoignages de la population locale, on peut clairement voir la propagande (mensonges) de l’Occident.
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